« Voilà tes papiers, ma belle... Et n'oublie pas : tu ne m'as jamais vu, tu ignores qui je suis, d'accord ? ». Tu souffles un bon coup, comme pour te donner du courage, et attrapes les papiers qu'il te tend. Ce jour restera surement à jamais gravé dans ta mémoire tant il marquera un tournant dans ta vie. Toi, habitante insignifiante de la petite bourgade d'Ipswich, abandonnes tout derrière toi. Ta vie, tes racines, ta grand-mère et même ton patronyme. Pourtant, tu n'as pas le choix. Si tu veux continuer à vivre une vie normale, tu dois accepter le fait que ta vie ne sera plus jamais la même. Alors, tu ranges les papiers dans la poche intérieure de ta vieille veste en jean et ton regard se pose sur l'homme face à toi. Son crâne rasé et son air sévère te font un peu peur, mais il ne te fera aucun mal, tu le sais. Tu te contentes de plisser les lèvres et de hocher la tête, très légèrement. Il a compris. Tu ne diras rien. C'est votre secret. Tu l'emporteras probablement dans ta tombe. C'est mieux comme ça, le seul moyen pour toi de ne pas sombrer. Tu clignes tes yeux et l'homme n'est plus là. Le vent balaie quelques mèches sur ton visage et tu sens les larmes te monter aux yeux. La vie ne sera plus jamais pareille. Plus jamais tu ne remonteras cette allée avec le sourire aux lèvres à l'idée de retrouver ta grand-mère. Cette femme que tu aimes comme une mère. Cette femme qui t'a élevé. C'est surement la seule figure stable dans ta vie. Tes parents ? Ils n'ont jamais été très présents. Quand tu étais gamine, ils venaient te voir le week-end... Et puis les années sont passées et les visites ont été plus espacées. Tu ne t'en plaignais pas, parce qu'au final, ces deux personnes t'étaient étrangères. Tu ne te reconnaissais même pas en eux. Leurs physiques t'étaient étrangers et la seule personne qui comptait était ta grand-mère. Cette femme que tu dois désormais abandonner. Ça te brise le cœur de devoir faire ça, mais c'est pour ta propre sécurité. Ta vie est en danger, peut-être pas au sens propre, mais tu sais que tes géniteurs ont des ennemis... même la police en a après eux. Si tu étais plus courageuse, tu les aurais surement dénoncé... mais même si leurs actes te semblent infâmes, ils n'en demeurent pas moins tes parents. Partir, disparaître est ton seul moyen de rester en dehors de tout ça. Tu les détestes. Ce n'est pas ton genre de ressentir de la haine, mais à cet instant très précis, tu détestes tes géniteurs d’avoir choisi une voie aussi boueuse. Mais ce qui est fait est fait et désormais, tu dois simplement faire avec.  


« Tu ne m'as jamais dit comment tu t'es fait ça... ». Tu ouvres doucement les yeux et frisonnes lorsque tu constates que le regard de ton petit ami est posé sur cette marque que tu détestes tant. Une cicatrice, là, juste au-dessus de ton sein droit, vestige du passé. Ton corps se fige lorsque tu sens ses doigts toucher ton épiderme abîmé. Tu n'as pas mal, ça fait de longues années que la blessure est fermée, mais les souvenirs n'en sont pas moins douloureux. Tu oublies un instant de respirer... le regard de Jay se posant alors sur ton visage. Tu ne sais pas quoi dire, ni quoi faire. Tes bras pendent le long de ton corps allongé sur le matelas inconfortable du jeune homme. Vous venez de coucher ensemble, l'instant était parfait, mais désormais, c'est comme si un mur vous sépare. Tu inspires profondément et attrapes la bordure du drap clair pour le remonter et cacher ton imperfection. « Je suis tombée, quand j'étais petite. ». Tu mens. Tu détestes ça, mais c'est la seule chose à faire. La vérité ne doit pas être dévoilée. Tu hais ça du plus profond de ton être. Lorsque tu mens, ça te rappelle que tu n'es pas la fille de tes géniteurs pour rien. Si tu fais ton possible pour ne pas reproduire leurs actes dénués de bonté, l'évidence s'impose difficilement à toi : tu n'es pas meilleure qu'eux. Tu passes ton temps à mentir. Même ton petit-ami ignore ton réel prénom ! Tu te répètes que c'est la seule solution, que tu n'as pas le choix, mais la culpabilité te bouffe peu à peu. Il te fixe et tu évites sévèrement son regard. Tu ne sais pas s'il a gobé ton mensonge, mais tu espères de tout ton être que ça s'arrête là. « Ouais c'est ça... et moi j'suis le fils de la Reine ! ». Tes sourcils se haussent tant la surprise est grande. Jay se relève et enfile rapidement un caleçon, suivi de près par son pantalon et t-shirt qu'il portait un peu plus tôt dans l'après-midi. Cette fois-ci, c'est lui qui t'évite du regard et tu vois bien qu'il est en colère. Tu restes silencieuse, parce que tout ça, c'est de ta faute. Tu mens, il le sait, il le sent. T'aimerais pouvoir tout lui raconter, mais tu ne peux pas. Ce n'est pas possible. Alors, tu te tais, parce qu'il n'y a rien à dire. « J'dois aller en cours... appelle-moi quand t'auras décidé d'arrêter de me prendre pour un con. ». Il te lance un dernier regard assassin et sort de la pièce, veillant à bien claquer la porte derrière lui. Tu sursautes légèrement et finis par fermer les yeux, tentant de chasser les larmes qui brouillent ton visage dénué de maquillage. Ce n'est pas la première fois que ce genre de dispute embrume votre vie de couple... Il voit bien que tu passes ton temps à mentir. C'est évident à ta façon d'esquiver son regard à chaque fois qu'il te demande de lui raconter des choses sur ton passé. Tes anecdotes sont toujours courtes et évasives. Tu ne veux pas t'enfoncer dans un mensonge que tu ne seras pas capable de contrôler. Alors, t'en restes au pur minimum... mais Jay n'en est que plus suspicieux.
Alors, après avoir chassé les quelques larmes qui menacent de couler, tu te lèves, attrapes tes vêtements qui traînent sur la moquette de la chambre universitaire et les enfiles rapidement avant de sortir de la pièce, tentant de continuer ta vie le plus normalement possible.