Je me dégoûte. Ce que je suis devenu, ce que j'ai fais, ce que je vais faire. Je me dégoûte. Je sens que ça me prend aux tripes, ça me remue l'estomac et me file la gerbe. Ça devrait suffire à m'arrêter et à changer d'avis, mais non. À croire que le dégoût de moi-même me motive plus qu'autre chose. C'est malsain non ? Quand on fait quelque chose qui nous rend malade, qu'on est conscient qu'on ne devrait pas le faire mais qu'on persiste ? Est-ce que ça se rapproche du masochisme ? Parce que je me fais du mal, et je crois que j'aime ça. Le temps est passé à une de ces vitesses. Hier encore j'étais ce gamin débarqué du froid et aujourd'hui j'suis ce mec, toujours aussi paumé. À croire que pas savoir qui je suis ou ce que je veux fait parti de moi. Mais tout ça, tout ce que je fais, ça en vaut sacrément le coup. Elle en vaut le coup.
___
Putain. Ça m'en fout un coup. Je m'attendais pas du tout à ça. Enfin si, mais je refusais de l'admettre. Le papier entre mes doigts tremble, ou alors c'est moi qui tremble. J'ai lu et relu les mots écrit en lettre d'or. Ils sont fins et élégants mais ils me donnent la gerbe. Il fallait bien que ça arrive. C'était dans l'ordre des choses. C'était normal qu'ils passent par là mais j'aurais aimé le contraire. Qui je suis pour dire ça ? Le meilleur ami. Le putain de meilleur ami des deux, celui qui les a présenté, qui a fait que ça colle entre eux.
« Hazel et Adam ont l'immense joie de vous annoncer leurs fiançailles. » Le dernier mot roule sur ma langue, me déclenchant des tremblements. Ils vont se marier. Ensemble. Je devrais être ravi que mes deux meilleurs amis forment un couple mais non. Adam, c'est un pote oui, un camarade de conneries mais je ne voulais pas qu'il soit avec Hazel. Je voulais qu'il aille avec une fille, une que je ne connaissais pas depuis mes huit ans. Hazel, elle est ma meilleure amie, ma sœur, ma confidente, elle est Hazel. Elle est intouchable. Elle est au dessus de tout ça. Depuis que je la connais je l'ai toujours placé au dessus des autres même quand elle s'amusait à m'emmerder à l'école. Elle était Hazel et elle était à moi. Autour de nous, beaucoup pensaient qu'on se mettrait un jour en couple mais non, on était des amis, les meilleurs. Je ne le voyais pas comme ça mais comme la voisine qui m'avait sortit de mon mutisme. Elle était qui m'apprenait des gros mots anglais, celle avec qui j'avais eu ma première cuite, celle qui m'avait invité à notre bal de seconde et m'avais même offert un nœud papillon atroce. Hazel était ce genre de fille qui qu'importe ce qu'elle faisait, de bien ou mal, on ne pouvait que la trouver adorable. Et vulnérable. Je la protégeais. Je ne comptais plus le nombre d'avertissement que j'avais eu pour bagarres. J'aurais pu massacré une armée si quelqu'un avait eu l'audace de la toucher.
Fiançaille. Pourquoi ? N'avait-elle pas vu ce que l'amour pouvait faire ? Ce que l'engagement apportait ? Hazel m'avait ramassé à la petite cuillère après Caitlin. Elle avait été le témoin de ma chute, elle avait tenté de toutes ses forces de m’empêcher de sombrer. Voulait-elle vivre la même chose ? L'amour. C'était une pure connerie. L'amour n'existait pas. C'était un mensonge qu'on nous servait à base de chansons niaises et de films mielleux. L'amour ne dure pas. Il vole en éclat. L'un des deux finit toujours par tout gâcher. Et Hazel ne devrait pas connaître cela. Elle ne devrait pas s'engager un mariage voué à l'échec. Je ne la laisserais pas.
Sortant mon téléphone, je composais machinalement son numéro.
« Salut Haz' !» soufflais-je.
« Oui j'ai eu le faire-part. C'est super. » Ma propre voix me paraissait tellement fausse.
« Bien sur que je viens. Je suis bien obligé non ?» Je préférais encore me faire renverser.
« On se voit vendredi alors ? Embrasse Adam pour moi.» Non, ne l'embrasse pas.
« À plus tard !» Je raccroche et je résiste à l'envie de balancer mon portable contre le mur. Putain. Vendredi ça va être long.